Mathieu Van Assche – Derrière le masque
Ce n’est pas un hasard si nous rencontrons le graphiste, graveur, illustrateur et photographe, Mathieu Van Assche, au café La Brocante à Bruxelles, dans le quartier des Marolles. Ce professionnel et artiste de l’image aime les y glaner en photographe ou chineur pour nous les présenter en trompe-l’œil, en mêlant les techniques.
Un « brouilleur de pistes », dont le travail est à découvrir, en ce moment, aux quatre coins de la Wallonie.
Nous sommes à deux pas de la place du Jeu de balle, dans les Marolles, un quartier que tu fréquentes assidûment ?
Je travaille à deux pas d’ici, mon bureau se trouve juste à l’arrière de Calaveras, une galerie d’estampes, de gravures et de sérigraphies. Avec Simon Vansteenwinckel et Cédric Volon, nous formons un collectif de graphisme et partageons divers projets communs, expositions et édition de livres de photo (les éditions Le Mulet). C’est d’ailleurs grâce à Simon que je me suis mis à la photo. C’est en voyant ses images que j’ai eu envie de m’y mettre. C’est lui qui m’a mis un appareil argentique dans les mains. J’ai fait un premier film dans le quartier, et puis j’ai continué parce que ça m’a plu. Depuis j’ai toujours un appareil sur moi…
Comme Simon, tu aimes fréquenter des manifestations « improbables » : une course de moissonneuses batteuses, le carnaval sauvage de Bruxelles…
Je lui ai fait découvrir le Carnaval sauvage et c’est lui qui m’a embarqué aux courses de moissonneuses batteuses. J’ai découvert ce carnaval bruxellois avant de commencer la photographie argentique. Je m’y étais baladé avec un petit appareil numérique à l’époque. Et j’y ai pris plein de photos. J’ai d’abord travaillé ces images en gravure et en illustration. Je reprenais mes photos, je les redessinais sur plaque de cuivre et j’en faisais des gravures. Dans le tas, j’avais une photo que j’aimais beaucoup, et je ne me voyais pas la refaire en dessin parce qu’elle était assez forte comme ça. Je me suis mis à la travailler pour la transférer telle quelle sur une plaque de cuivre et en faire une photogravure, en retouchant à la main pour les finitions et pour masquer les présences humaines. Ce fut mon premier « mix » entre photo, gravure et dessin.
Depuis, tu t’es mis à l’argentique, j’imagine que tu développes et que tu tires toi-même ?
Non pas du tout. Je ne suis vraiment pas photographe à la base. Je n’ai aucune formation et je n’y connais pas grand-chose en technique. Ce qui m’intéresse d’abord c’est me promener avec un appareil tout simple, sans réglages, en me focalisant sur le fait d’« appuyer au bon moment ». Pour moi, peu importe la technique, pourvu qu’elle soit au service de l’image, mais j’aime mélanger les genres pour brouiller les pistes. D’ailleurs, avec mes photos « sabotées », ça m’a bien amusé d’amener de l’illustration au Musée de la photographie à Charleroi !
Donc, pas de labo ?
Je commence seulement à m’y intéresser. Mais pas pour faire du tirage classique. J’ai découvert le tirage lith au cours d’un workshop chez Ian Dykmans. Et ça m’amuse ! C’est assez similaire au procédé classique, mais avec des produits différents qui font davantage ressortir le grain et la matière. Le procédé ne donne un résultat que sur du vieux papier photo, voire sur du papier périmé. Du coup, pour chaque support, le résultat est différent. C’est une technique un peu aléatoire et c’est pour ça que je l’aime ! C’est aussi pour ça que j’aime l’argentique d’ailleurs, pour cette notion d’accident. Je ne recherche pas le réalisme, j’aime l’art brut et j’aime la surprise. En gravure aussi, la notion d’accident existe au moment où, après la mise sous presse, tu découvres le rendu sur le papier. Tu n’obtiens jamais pile poil ce que tu attends. Il y a toujours un imprévu.
Mais que reste-t-il de l’intention quand on recherche systématiquement l’accident ? Comment est-ce qu’on raconte une histoire avec de l’imprévu ?
Ça dépend. Je peux partir d’un sujet très précis comme le Carnaval sauvage. Il y a dès lors un thème, un cadre, donc ça va forcément raconter quelque chose. A côté, je fais aussi beaucoup de photos de rue. J’aime le fait qu’il faille y être très rapide et aller au culot. A force de faire plein de photos, une narration se construit. Et je me rends compte que je raconte beaucoup la vie de ce quartier. Dans ma démarche artistique, c’est sans doute en tant que photographe que j’ai le plus de liberté, du fait de mon manque de technique, paradoxalement. Je ne sais pas toujours où je vais ni ce que je fais, mais je le fais. Et je suis parfois le premier étonné par le résultat.
Il y a donc les photos que tu prends, mais il y a aussi celles que tu chines pour les « saboter »… J’imagine que tu les trouves ici dans le coin ?
Oui, la plupart. On en trouve encore, bien qu’elles se raréfient et deviennent de plus en plus chères. On commence à m’en donner aussi. Des gens qui découvrent mon boulot me proposent des photos de famille qui traînent dans leur grenier. J’ai aussi acheté des albums de famille complets.
Mais d’où est venue cette idée de les « travestir » ?
Au départ, c’était très gratuit. J’ai toujours aimé flâner sur le marché de la place du Jeu de balle, même avant de travailler dans le quartier. Un jour, j’en suis revenu avec un lot de vieilles photos. J’ai commencé à dessiner dessus parce que ça me faisait marrer. Quelques années après, je les ai ressorties lors d’une petite expo et j’ai remarqué que ça plaisait. Je prends aussi beaucoup de plaisir à faire ça. C’est bien plus simple que la gravure et plus direct que la photo. J’y mets à la fois ce qui m’intéresse, ce qui me touche, ce qui me fait rire, ce qui me questionne. L’exercice agit comme un exutoire.
Tu fais aussi partie du projet 10-10, tu exposes régulièrement en collectif, tu étais de la délégation belge partie au Festival d’Essaouira. C’est important pour toi cette notion de « bande »?
Je suis au départ quelqu’un d’assez réservé, et la photographie m’a permis de m’exprimer en allant vers les autres. Parce que faire une expo, c’est pas juste mettre des cadres sur un mur. C’est aussi une mise à nu. Il faut s’assumer et se confronter aux gens. La notion de « faire avec les gens » c’est très porteur. Mon parcours artistique a d’ailleurs commencé en collectif. J’ai appris énormément de choses en fonctionnant comme ça. Puis il y a des phases où tu as envie de te replier sur toi-même, c’est nécessaire pour la réflexion. Tu t’ouvres, puis tu te fermes…
On a parlé de ta passion pour le carnaval, on voit dans ton travail cette fascination pour le masque. De l’autre côté du miroir, l’appareil photo n’agit-il pas aussi comme un masque ?
C’est vrai, on peut se cacher derrière un appareil photo. Chez moi, il a un effet désinhibant, comme peut en avoir le fait de porter un masque lors d’un carnaval. Quand je dois faire une image, je sais que je dois y aller, et si je dois m’approcher très près, que je sens que je peux le faire, je le fais. Ce sont des moments où je ne réfléchis pas, où je me sens vraiment vivre, vraiment moi. Ma timidité est mise de côté. C’est l’image qui prime. Et quand je suis au carnaval, je porte un double masque, un véritable et mon appareil photo !
Alors, finalement, pour toi, la photographie c’est quoi ?
C’est ce qui m’emmène ailleurs. C’est pour ça que j’aime travailler le noir et blanc. Cela crée directement une distance et ouvre les portes d’un monde imaginaire que j’ai envie de raconter. Bien sûr, c’est aussi le reflet de ce que je vois, de ce qui me touche, de ce qui m’interpelle. Les petites choses de la vie, observer, porter un regard sur le monde. Ce peuvent être de toutes petites choses, sans discours. Dans la photographie de rue, j’aime capter les gens quand ils sont seuls avec eux mêmes. Je trouve ça super touchant. Ces petits moments où les gens ne trichent pas, ne posent pas.
Ces moments où ils ne portent pas de masque ?
Exactement…

Mathieu Van Assche expose* :
À la galerie du Soir, au Musée de la photographie à Charleroi, jusqu’au dimanche 10 mai.
« ITEM » (en collectif) à la Galerie du Beffroi, à Namur jusqu’au dimanche 29 mars.
« Sabotages », à la Galerie Satellite, à Liège, jusqu’au mardi 12 avril.
« Vendredi XIII » avec Mathilde Payen, à la Galerie Calaveras, à Bruxelles, jusqu’au samedi 23 mai.
* Ces dates ne tiennent pas compte des dernières dispositions en lien avec le coronavirus (renseignez-vous auprès de l’exposant).