Lights on Varanasi – Mélanie Patris

Lights on Varanasi – Mélanie Patris

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Prolongeant la rubrique “Regards” du Vif/L’Express de ce jeudi, nous publions une interview de Mélanie Patris au sujet de sa série “Lights on Varanasi”.

Il est des villes très photogéniques, dont on connait les vues répétitives et les mises en scène exotiques sans jamais y être allé. Varanasi est de celles-là.

Ce qui donne une épaisseur richement dissonante au travail de Mélanie Patris, outre les techniques utilisées, tient dans le fait que son exploration photographique de la ville a aussi été une exploration intérieure.

Pourquoi Varanasi ? 

En 2013, j’ai repris un master en anthropologie. Cela faisait très longtemps que je voulais retourner pour un temps long en Inde, où j’avais déjà voyagé plusieurs fois et avec laquelle j’ai une relation très forte. J’étais allée à Varanasi en 1999, pendant 5 jours. Il y avait quelque chose de fascinant pour moi, notamment dans l’approche de la mort. Les gens viennent là-bas pour mourir, parce que dans les croyances hindoues, quand les personnes se font incinérer au bord du Gange à Varanasi et que leurs cendres sont dispersées dans le fleuve, le cycle des réincarnations se stoppe. La question de la mort a toujours été présente dans ma vie. En 2015, j’ai voulu retourner à Varanasi dans le cadre de l’anthropologie pour aller voir un peu plus loin par rapport à ça.

Tes appareils photos t’accompagnent toujours partout. Est-ce que l’idée de réaliser une série était présente dès le début de ton voyage ? 

Je suis partie là-bas pour écrire ma monographie. Et mon idée de départ était de faire de l’anthropologie visuelle pour ce mémoire. Je n’avais donc pas en tête une série, même si je savais que j’allais faire des photos dans le but de ramener quelque chose de cohérent.

Je suis partie avec 8 appareils différents et suis restée 3 mois à Varanasi. Enormément de gens y vont pour faire des photos. Mon idée était de photographier la ville, mais en me détachant de ses côtés photogéniques et en évitant les sujets clichés. J’ai voulu voir ce qui allait émerger au fur et à mesure, en fonction de qui et de ce que j’allais rencontrer. Je mets toujours du temps à sortir mes appareils…

Disons que Lights on Varanasi est le résultat de mes errances dans la ville à travers différentes rencontres que j’ai faites. Le hasard a voulu qu’il s’agisse surtout d’expatriés occidentaux, installés là depuis longtemps. J’ai visité Varanasi avec leurs yeux.

Est-ce exact de dire que ta photographie s’est faite contemplative dans cette errance ? 

C’est bien possible oui… En tout cas pour toute une partie car l’idée était vraiment d’être à la ville et de voir ce qui allait s’en dégager. Je me suis par exemple aperçue que j’utilisais des appareils différents en fonction de ce que je photographiais et d’où j’étais dans la ville. Chez moi, j’ai beaucoup travaillé avec mon Polaroid 600. Mon Rolleicore, je l’ai beaucoup utilisé dans la vieille ville. Va savoir pourquoi… Et ce pourquoi aurait été intéressant à analyser mais mon mémoire s’est finalement orienté vers une autre direction.

Toujours est-il que les photos présentées dans le portfolio du Vif ont presque toutes été prises avec le FP100. Lorsque je photographiais des personnes, je pouvais leur donner l’original tout en gardant le négatif et donc la trace de la rencontre.

Pour les portraits justement, est-ce que le fait d’utiliser ce type d’appareil a facilité le contact ? 

Tout à fait. Lorsque j’ouvrais le FP100 en ville, 3 ou 4 personnes venaient systématiquement autour de moi pour voir de quoi il s’agissait. Cela a été un magnifique outil de communication ! La photo avec les deux petites filles a été prise dans ma rue. On était en train de jouer à se photographier mutuellement avec une copine anthropologue et ces fillettes sont venues me demander de les prendre en photo alors que je ne les connaissais pas.

De manière générale, dans les rues, on rencontre plus d’hommes indiens que de femmes. Ils sont donc plus nombreux dans mes images. Mais je n’aurais pas eu les mêmes contacts avec eux sans l’appareil photo. Par exemple, je croisais les mêmes hommes tous les matins dans une échoppe où ils vendaient du yaourt. A un moment donné, je leur ai proposé de faire une photo d’eux puis je leur ai donnée. Ils ne parlaient presque pas anglais mais cela a été impressionnant de voir tout ce que cela a facilité ensuite dans l’échange, la communication. Cela a changé complètement la relation. Une autre fois, j’ai été invitée à entrer puis à manger dans une maison indienne grâce à la photo. Cela m’a permis pour une fois de rencontrer des femmes. Une vraie belle expérience.

Nous avons eu le plaisir de présenter ta série Incipit sur BrowniE. On y retrouve des axes fort de ton travail : la féminité, l’autoportrait et la question du territoire. Est-ce sur cette dernière qu’un lien peut se faire avec Lights on Varanasi ? 

Clairement. Pour mon master, je devais choisir un terrain ethnographique. Varanasi était comme je l’ai dit lieu très personnel. Je me disais que cela n’allait intéresser personne d’autre que moi, parce que c’était mes interrogations intérieures, mes questions par rapport à la mort… Mais quand je suis rentrée, j’ai beaucoup dit “Je suis partie à Varanasi pour travailler sur le thème de la mort, et finalement j’ai fait des photos sur la vie”. Les gens c’est la vie, le fleuve c’est la vie… Je me suis laissée porter par la ville, par mes rencontres… et je me suis aussi rencontrée moi-même.

Du coup, je crois que ce qui fait écho entre les deux séries, c’est le territoire mais aussi l’errance, qui d’une autre façon a aussi été présente lors de ma résidence à Marchin. Le féminin s’exprime plus dans les autoportraits que j’ai faits à Varanasi et qui se retrouvent dans une autre série : Géographie intérieure (visible ici). Et c’est étrange parce que des autoportraits j’en ai fait beaucoup, mais quasiment tous dans ma chambre où je n’ai utilisé que mon Polaroid 600. On en revient à ce que nous évoquions tout à l’heure : chaque type de photo a été territorial.

Reparlons un peu de la technique et des appareils utilisés. Dans ces images, que voit-on concrètement ? 

Tout le traitement de ces images s’est fait a posteriori, après mon retour en Belgique. Le FP100 donne un positif et un négatif. Et ce sont des négatifs qu’on voit dans le portfolio. Je les conserve, les nettoie à la javel, et puis je les scanne. Ce qui m’intéresse ce sont les “erreurs” qui vont naître du contact de la javel et des émulsions. Cela crée des traces qui donnent à l’image un autre aspect que juste narratif. On rentre dans la matière. Il y a quelque chose qui relève de l’absence par la partie de matière qui n’est plus. De la poésie.

Je ne cherche pas à ce que les couleurs soient fidèles à la réalité. Ce qui m’intéresse c’est justement tout ce que peuvent montrer ces “déformations colorimétriques”. Il y a quelque chose dans l’évocation qui sera plus fort, quelque chose de l’ordre de la sensation qui peut se créer chez le spectateur. Cela laisse plus de place à l’imaginaire personnel de chacun.

A quoi nous ramènent ces images ?


Le Vif/L’Express a récemment inauguré “Regards”, une nouvelle rubrique de quatre pages présentant photoreportages et images d’auteur, pour raconter l’actualité et le monde autrement.

BrowniE est heureux d’être associé à la mise à l’honneur de la photographie d’auteur. Le site accueillera des prolongements de ces publications.
Retrouvez l’intégralité du portfolio de Mélanie dans Le Vif/L’Express en librairie dès ce jeudi 8 novembre.
Plusieurs tirages de cette série sont en vente au Studio Baxton, à Bruxelles.
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