“Le Monde selon Down” – Bénédicte Thomas

“Le Monde selon Down” – Bénédicte Thomas

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Il est des photographes dont l’engagement n’a d’égal que leur discrétion. Nous sommes très heureux de donner la parole à Bénédicte Thomas, qui  présente un travail de trois ans à la rencontre d’adultes trisomiques. Ce reportage, déjà récompensé par le concours Sophot 2020, a donné naissance à un livre, « Le Monde selon Down ». Des images et des mots de ces femmes et ces hommes qui voudraient juste nous dire qu’ils existent.

[Cet entretien a eu lieu par téléphone, lockdown oblige #stayathome]

Comment vis-tu ce confinement ? Est-ce qu’à l’instar d’autres photographes tu as entrepris de documenter cette période ?

Pas trop, non. Partir dans des projets photographiques dont l’humain est absent est compliqué. Je privilégie la rencontre avec l’autre. Et là, c’est difficile. Quand on est habitué à bouger, on a vraiment envie de sortir de ce confinement. Pour l’instant, je me concentre sur les préparatifs d’une prochaine exposition, en espérant qu’elle puisse se concrétiser.

Venons-en à ton livre, dans quel contexte est né ton projet ?

Mon questionnement est né lors d’un reportage aux Special Olympics, en 2016. Nombreux étaient les athlètes porteurs de trisomie 21. Nous les voyons habituellement peu dans notre quotidien et connaissons mal leur mode de vie. Ces personnes naissent souvent avec des problèmes de santé, cardiaques notamment, mais aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, elles ont une espérance de vie plus longue. On mesure aussi beaucoup plus l’importance du suivi dont elles ont besoin pour être le plus autonome possible. Ce n’était pas le cas auparavant. Aller à leur rencontre devenait une évidence.

De plus, à cette même période, le dépistage périnatal était devenu gratuit pour tous les futurs parents. Ce qui avait fait réagir l’entourage des personnes handicapées car, s’il saluait le geste, il voulait attirer l’attention sur le fait que le remboursement aux soins restait un combat de tous les jours.

L’angle que tu as choisi en donnant la parole à l’entourage et en faisant le portrait de ces adultes trisomiques qui sont parvenus à gagner leur autonomie, ont un travail et une vie sociale, c’est un message d’espoir ?

C’est une volonté d’informer, de sensibiliser, oui. Les parents d’enfants trisomiques se posent, à juste titre, énormément de question sur leur avenir. D’autre part, lorsque vient l’heure du diagnostic, ce sont principalement les points négatifs qui sont mis en avant. Or, quand on parle avec l’entourage, certes il relève les difficultés de ce combat quotidien, mais il y a aussi toute une série de points positifs, notamment en matière de relations humaines.

Tu dis dans ton introduction que l’image que renvoie Pascal Duquenne dans « Le huitième jour » de Jaco Vandormael est pour la plupart exceptionnelle, irréelle . Tu tends à nous prouver le contraire, mais cela ne reste-t-il pas l’arbre qui cache la forêt ?

Au cours de ce reportage, j’ai appris que la trisomie 21, ça ne veut « rien dire ». Il y a tous les degrés de handicap, certains sont plus légers que d’autres, et chaque parcours est différent. L’encadrement dès le plus jeune âge est primordial. Il y a effectivement des situations qui privilégient certaines personnes plus que d’autres, comme pour n’importe quel enfant. J’ai essayé de toucher un échantillon le plus large possible dans différentes régions ou lieux de vie, même si je n’ai pas eu beaucoup de retours des institutions dans un premier temps. Le contact que j’ai eu avec l’asbl Inclusion a été déterminant. Elle a de suite pris mon reportage très au sérieux et a fait passer mon message à tous ses contacts. Des parents se sont alors directement adressés à moi.

Deux témoignages, parmi ceux qui jalonnent ton livre utilisent la métaphore de « chromosome du bonheur » ou « chromosome de l’amour » pour qualifier le syndrome de Down. Comment le ressens-tu toi ? N’est-ce pas un cliché ?

Je n’aime pas les stéréotypes, mais il est évident que ces personnes n’ont pas ou peu de filtre avec leurs émotions. Elles n’ont pas les codes sociaux que nous avons et s’expriment souvent avec plus d’intensité. C’est très enrichissant. Avec elles, la notion du temps est aussi différente. Il faut apprendre à vivre au ralenti, à aller à l’essentiel. On remet souvent son propre fonctionnement en cause.

On sent aussi, entre les lignes, cette difficulté qu’ils et elles ont à s’exprimer…

Avec la plupart d’entre eux, les conversations ont été quasi « normales ». Pour certains, c’était plus compliqué car ils avaient beaucoup de mal à articuler, je ne les comprenais pas. Et je sentais que cette incompréhension était pour eux une souffrance. Ils ont une forte volonté de prouver qu’ils existent. Mais, comme ils portent leur handicap sur leur visage, sur leur corps, la société a du mal à reconnaître leurs compétences. Je suis pourtant convaincue que nous avons besoin d’eux, notamment pour ce qu’ils ont à nous apprendre en matière de relations humaines.

Quels rapports tes sujets entretiennent-ils avec l’image en général et la leur en particulier ? Comment t’ont-ils accueillie en tant que photographe ?

Ils étaient très fiers d’être mis en valeur. Je n’ai pas eu la sensation qu’ils étaient mal avec leur corps. Au contraire, certains n’arrêtaient pas de poser, je devais me faire oublier, les prendre par surprise, pour capter des moments spontanés. Je leur envoyais de temps en temps des photos d’eux. Ils ont tous été enthousiastes par rapport à ma sélection.

Comment s’organisaient ces séances photo ?

Je ne suis pas quelqu’un qui mitraille. J’ai pris d’abord le temps de les rencontrer, de parler avec leur entourage. On a pris le temps de se connaître. Je ne voulais pas non plus perturber leur rythme de vie. Je fixais plusieurs rendez-vous en fonction de leur emploi du temps, de manière à les rencontrer dans des contextes différents. Ce n’est seulement qu’après qu’est venue l’idée d’insérer des témoignages, je ne voulais pas laisser les familles dans l’ombre. C’était aussi important pour moi de donner la parole aux frères et sœurs, souvent mis à l’écart en tant que témoins, alors qu’ils vivent dans une fratrie compliquée. Souvent, ils grandissent différemment.

Ton livre est une autoédition, tu t’es fait aider pour la maquette ?

Marie Sordat et Véronique Vercheval m’ont guidée dans ma sélection. J’ai travaillé avec Indesign pour la mise en page, toujours sous l’œil bienveillant de Véronique Vercheval. Ça a été un gros travail, car je ne suis pas graphiste. Mais je voulais créer un bel objet et me suis inspirée de livres photo que j’aimais. C’est si important le livre en photographie. Il permet de plonger dans un sujet de manière très intérieure. Sans être interrompu, comme on peut l’être lors d’une visite d’exposition.

Le handicap, la vieillesse, l’immigration… Ta photographie est résolument tournée vers les autres, ceux dont on parle peu ou qu’on exclut. Tu acceptes l’étiquette de « photographe engagée » ?

J’ai du mal avec le terme « photographe », je me sens si petite par rapport à d’autres. Mais engagée, oui. Dans le contact humain, dans la défense des autres, ceux dont on parle peu. Pas dans des sujets à sensation, mais dans des thèmes qui me touchent au quotidien et qui, il me semble, méritent plus de lumière.

Et, donc, finalement, pour toi, la photographie, c’est quoi ?

C’est un outil merveilleux qui permet d’aller à la rencontre de personnes que je ne connais pas et de traiter de sujets qui me tiennent à cœur. Je suis toujours étonnée des portes qu’elle ouvre, contrairement à ce qu’on pense. Et je suis toujours reconnaissante de la confiance qu’on me donne et qui me porte, ça me stimule, en toute humilité.

www.benedictethomas.be

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