Essaouira, ce Plat pays

Simon Vansteenwinckel

Essaouira, ce Plat pays

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Ils étaient partis en bande pour renforcer une délégation belge déjà étoffée, et ils ont frappé fort. David Ameye, Gil Barez, Mara De Sario, Sarah Lowie (dont nous vous reparlerons bientôt), Mathieu Van Assche… et lui. Simon Vansteenwinckel, grand gaillard de 41 ans, graphiste et ancien timide selon ses dires, nous revient des Nuits photographiques d’Essaouira, au Maroc, auréolé du Grand Prix du jury pour sa série « Platteland ». Ce « pays qui n’existe pas », la Belgique, existe désormais de l’autre côté du détroit de Gibraltar, grâce à lui, grâce à eux.

Essaouira, ce Plat pays – Simon Vansteenwinckel

Trois prix étaient décernés au Maroc, deux d’entre eux ont été attribués à des Belges, et tu remportes le Grand Prix avec une série bien de chez nous… Alors que s’est-il passé à Essaouira entre la Belgique et le Maroc ?

Quand on a vu la sélection, on s’est en effet rendu compte qu’on était pas mal de Belges, ce qui faisait déjà plaisir, car on se rend compte qu’en Belgique, l’air de rien, au niveau photographique, ça bouge bien. Pour un petit pays comme le nôtre, voir qu’il y autant de photographes qui arrivent à en sortir, c’est étonnant.

Le fait que « Platteland » ait touché les Marocains n’est-il pas la preuve que ce travail a dépassé sa belgitude ?

Oui, en même temps le jury était assez international. Et c’est toujours difficile de savoir ce qui se passe dans sa tête. Mais ça fait plaisir de voir que « Platteland » ne parle pas qu’aux Belges. Qu’il est plus universel. C’est encourageant.

Platteland © Simon Vansteenwinckel

Finalement « Platteland », c’est quoi ? Une vision fantasmée de la Belgique ? Une version rock’n’roll de notre Plat pays ?

La série était en lien avec une exposition qu’on m’a proposée à Home Frit’ Home, le micromusée de la frite à Bruxelles. Plusieurs expos par an y sont organisées sur le thème de la Belgique. Et on m’a proposé d’y présenter une série. J’ai donc regroupé toutes les photos que j’avais faites depuis une dizaine d’années. J’ai été piocher dans tous mes travaux, et je me suis rendu compte que ce qui m’attirait dans ce que je photographiais c’était des événements décalés, « exotiques ». Et on en a fait une expo, puis un livre.

C’est le hasard qui met ces événements sur ta route ?

Non, je me renseigne d’abord sur Internet, ensuite je me rends sur place sans savoir à quoi m’attendre. C’est de la curiosité. C’est aussi ça que je trouve intéressant avec la photo : découvrir des choses qu’on irait jamais voir en temps normal. La photographie est un excellent prétexte pour se rendre compte de ce qui se passe ailleurs. Et on n’est pas obligé d’aller à l’autre bout du monde pour tomber sur des trucs complètement étonnants. Plein de choses se passent en Belgique qu’on ne connaît pas. D’où le titre « Platteland » qui connote une sorte de pays imaginaire. La plupart des gens qui découvrent mon livre sont surpris quand je leur dis que toutes ces images sont prises au pays. C’était un peu le but de brouiller les pistes…

Platteland © Simon Vansteenwinckel

« Platteland » succède à « Nosostros »… qui n’a rien à voir. Ne fût-ce qu’en matière de temporalité. Alors que le premier est une compilation d’images prises sur des années, « Nosostros » a une unité temporelle, un voyage d’un an au Chili.

Oui, on a voulu montrer le Chili à nos filles, ma femme étant Chilienne. On a loué un combi sur place et on a voyagé dans tout le pays, mais aussi en Argentine.

Il y a un peu moins d’un an entre les deux publications, ça n’a pas été compliqué pour toi d’enchaîner deux travaux aussi différents ?

C’est vrai que « Nosostros » a été très long. Il a fallu deux ans après le voyage jusqu’à la sortie du livre, sa préparation a été très longue. C’était assez difficile parce qu’il y avait beaucoup d’émotion. Tandis que « Platteland » était plus facile, car il s’agissait d’assemblage. Le défi a été de faire quelque chose de cohérent avec des images qui étaient issues de séries totalement différentes. Et qui n’étaient pas forcément destinées à être publiées ensemble. Je me suis fait aider en cela par des gens qui ne connaissaient pas mon travail, et qui avaient le recul nécessaire. Mais c’est vrai que c’était deux manières de faire des livres tout à fait opposées.

Et pour « Nosostros » ? J’imagine que tu t’es aussi entouré de personnes pour t’aider dans ta sélection, car dans cette série tu es complètement impliqué…

Oui, j’ai fait ça chez Yellow Now (l’éditeur liégeois, NDLR) avec Emmanuel d’Autreppe qui m’a beaucoup aidé à choisir les images. Parce qu’il est difficile dans ce genre de travail, où ce sont surtout des photos de voyage et des portraits de famille, de faire autre chose que du « touristisque » ou des « souvenirs »… Or, il faut que ça puisse toucher d’autres personnes que tes proches. C’était toute la difficulté : faire abstraction de la charge émotionnelle qu’a représenté ce voyage, de ces sentiments tronqués. Pouvoir compter sur un œil extérieur dans ce cas est primordial.

Nosostros © Simon Vansteenwinckel

Revenons à Essaouira, à part le prix que tu as obtenu, tu retiendras quoi de cette expérience ?

Je retiendrai cette immersion pendant quelques jours avec cinquante autres photographes, avec qui il y a eu plein de discussions et d’échanges. Il y avait beaucoup de photographes maghrébins et européens. Découvrir leurs travaux, se frotter à leur manière de travailler, faire des rencontres, ce fut une belle ouverture sur le monde. Il y a avait aussi des lectures de portfolios, des expos des conférences. Bref un bouillonnement de quelques jours, mais qui enrichit énormément.

J’ai l’impression que c’est vraiment une clé, chez toi, le mot « rencontre »…

On voit souvent le photographe comme un être solitaire, mais ça peut aussi être quelqu’un qui a envie d’aller vers l’autre. Je suis d’un naturel timide, et la photo m’a beaucoup aidé à aller vers les gens. La première fois que je suis descendu dans la rue avec l’idée de leur tirer le portrait, ça a été très difficile, parce qu’aborder un inconnu est quelque chose que je n’aurais jamais fait avant. Mais la photographie m’a permis de vaincre cette peur. Elle m’a autorisé à vivre des choses que je n’aurais jamais vécues.

On vient d’y répondre certainement en partie mais, finalement, la photographie pour toi, c’est quoi ?

Outre ces liens qu’elle peut créer, il y a aussi tout l’aspect visuel, esthétique et graphique qui m’a toujours intéressé en tant que graphiste. Moi je fais plutôt partie des gens qui apprécient la photo qui véhicule une émotion, un sentiment, qui raconte quelque chose. J’ai beaucoup plus de mal avec la photo conceptuelle, par exemple. Ou la photo qui doit nécessairement s’accompagner de texte, ça m’interpelle beaucoup moins. Je me sens plus de la lignée du mouvement Provoke, « la photographie qui tremble », comme l’avait nommée Marie Sordat à l’occasion de l’exposition « Eyes Wild Open », au Botanique, à Bruxelles. Pour moi l’image doit parler d’abord. Et c’est le genre de photographie qu’on met en avant dans la revue « Halogénure » à laquelle je collabore.


simonvansteenwinckel.com
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Le livre Platteland est disponible chez Home Frit’ Home
Le livre Nosostros est disponible aux Éditions Yello now

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