Les 365° d’Alice Khol

Les 365° d’Alice Khol

1920 1280 BrowniE

En photographie comme en amour, y a-t-il des hasards ? 

Les débuts de BrowniE ont coïncidé avec la fin d’un tumblr qui a fait battre notre cœur au rythme de ses publications pendant plus de deux ans : 365° degrees of love.

Il est à présent permis à chacun.e de le (re)découvrir comme une longue série, documentant l’intime d’aujourd’hui en images et en mots.

Nous avons rencontré son auteure, Alice Khol. Française, elle vit et travaille à Bruxelles depuis dix ans. Intéressée par l’image depuis toujours, elle a assumé son envie de photographie assez tard, reprenant des études à l’Ecole de photo Agnès Varda en parallèle d’une première vie professionnelle en tant qu’organisatrice de festivals de cinéma.

Nous venions pour parler du projet. Nous avons parlé d’amour, au singulier, au pluriel. Nous en avons parlé beaucoup… mais, finalement, pas surtout ou pas seulement, tant Alice Khol définit l’amour et la photographie de la même façon : des mystères insolubles qui la portent.

Quelle est l’origine de ce projet ? 

Je me suis toujours interrogée sur l’amour. Comment on le vit, pourquoi on le vit, qu’est-ce qu’on imagine vivre, et qu’est-ce qu’on vit réellement. Pour moi, il y a toujours un fossé immense entre les deux… tant dans le positif que dans le négatif. L’amour est une chose aussi belle que tragique. Pour moi, c’est le plus grand des moteurs. Même quand un amour n’est pas partagé, il va te transformer. Chez moi – comme chez beaucoup de gens – c’est très très puissant.

Concernant la forme, le choix d’un blog convenait à la fois à mon envie d’écrire et à ma passion pour la photographie. Il y avait plein d’images que je prenais au quotidien dans ma vie de photographe qui ne rentraient dans aucune série et que j’avais envie de montrer.

Dans les textes, je relate des témoignages – que j’ai voulu anonymes – à la première personne. La photo à laquelle ils sont associés permet d’ouvrir encore l’imaginaire. C’est extrêmement rare que la personne qui « parle » soit celle représentée en photo. Cela brouille les pistes à plusieurs niveaux. Le lieu que l’on voit est-il celui de la confidence ? Celui où la scène racontée s’est passée ?

Pourquoi ce titre, 365 degrees of love ? 

Le degré est une mesure. Et en amour, le spectre est assez large. 360°, c’est un tour complet. Ici, il y a plus de degrés : l’amour tu n’en fais jamais le tour. Le 365 renvoie aussi à quelque chose de quotidien, parce que l’amour est quelque chose qui me préoccupe quotidiennement – même si je réalise que j’y réfléchis moins depuis que j’ai arrêté le blog.

Dès le début en tout cas, il y avait cette notion de fin après le 365e degré. Cela a pris plus de deux ans car je n’ai pas voulu m’imposer de publier chaque jour… C’était bien de prendre le temps. De pouvoir aller chercher l’inspiration. De ne pas me répéter. D’entendre et de voir de nouvelles choses, de rencontrer de nouvelles personnes qui apportent des éclairages nouveaux.

Est-ce que cela a changé ta vision de l’amour ? 

Cela m’a fait réfléchir énormément… Ma vision de l’amour a profondément évolué, aussi parce la photo, le blog, m’ont fait rencontrer d’autres gens. Et en fait, le constat est qu’il n’y a aucune règle. L’amour, tu ne peux pas le saisir.

Personnellement, tout ce que je peux retenir, c’est qu’il faut vivre ce que tu as envie de vivre. Et que tout est possible. Peu importe ce qui semble normal, ou bien, ou pas. L’amour donne lieu a des choses tellement différentes. Il faut se laisser porter et avoir du courage.

Oui, l’amour, souvent, ça se finit en drame, mais c’est comme la vie : à la fin ça s’arrête. Est-ce qu’on va s’empêcher de vivre parce qu’on meurt à la fin et que cela n’a aucun sens ? Pour moi, une histoire d’amour, c’est pareil.

L’amour que tu montres à voir et à lire égratigne souvent. C’est un amour auquel on se cogne, qui râpe le cœur…

Le thème de l’amour a déjà été abordé de tellement de manières… Je n’aurais pas voulu faire un blog fleur-bleue, uniquement rempli de témoignages de l’ordre du « Oh, je suis amoureux, amoureuse, c’est formidable ! » Ce qui m’intéresse, c’est précisément toute la complexité qu’il y a derrière les sentiments, le désir. D’adopter des points de vue différents.

A propos de point de vue… comment qualifierais-tu ta démarches ? Peut-on dire qu’elle est autofictionnelle ? 

En photographie, je me suis souvent demandé ce que je faisais… j’en suis arrivée à parler de « documentaire de l’intime ».

Dans le cas du blog, concernant l’écrit, parfois, on retrouve quelques témoignages directs. Mais la plupart du temps, c’est moi qui ai entendu, réécrit, parfois mélangé les histoires. J’ai essayé d’utiliser ma propre mémoire émotionnelle pour que ce soit le plus vivant et le plus proche possible de ce qu’on peut ressentir.

L’anonymat permet de rendre les choses plus universelles, tout le monde peut s’identifier. Et c’est aussi pour ça que j’ai utilisé la première personne : cela me permettait de m’inclure… un peu comme un comédien qui se glisse dans la peau de tous ses personnages.

Des filles et des garçons, qui aiment ou désirent des garçons ou des filles ou les deux. Une galerie de personnages qui a quelque chose de générationnel…

Les histoires sont pour la plupart celles de gens qui m’entourent. Donc effectivement, c’est une photographie de l’amour dans mon milieu en 2017… Il n’y a pas de normes, mais disons qu’il y a des tendances. Les applications de rencontres par exemple. Je me suis inscrite sur ces applications, pour voir à quoi ressemblaient les rapports humains là-dessus. Ça alimentait le blog et en même temps c’était une espèce d’expérience de vie.

J’ai découvert des choses assez drôles… mais il faut être accroché, je trouve. L’écran, ça te met en contact, ça te permet de rencontrer plein de gens, mais aussi de t’éloigner. Il y a beaucoup de superficialité et de consommation. Et les images – les photos de profil que l’on zappe, les clichés parfois très intimes qui s’échangent – sont très importantes dans tout cela. Ça c’est peut-être quelque chose de notre époque… la consommation des corps. C’est assez flagrant, assez apeurant aussi. Alors bien sûr cela ne concerne pas tout le monde… mais d’une manière générale, selon moi, ça crée de la solitude. Cette illusion du nombre isole car au final on ne crée aucune relation profonde. On ne laisse et on ne se donne pas le droit à l’imperfection, à l’erreur : on passe à autre chose.

Avec le blog, un écran existait aussi entre tes images, tes textes, et tes lecteurs. Le rapport est différent de celui qui existe dans une exposition… 

C’est peut-être positif, mais pendant très longtemps je me suis dit « personne ne lit, personne ne voit ». Je lançais ces histoires comme des bouteilles à la mer. Je me suis peut-être autorisée plus de choses…

Sur internet, les réactions ont finalement été peu nombreuses. Etonnement, je pense que cela traduit une certaine pudeur… Par contre, dans « la vraie vie », j’ai rencontré de plus en plus de gens qui me parlaient de tel ou tel article. Certains me disaient avoir été chamboulés parce que cela mettait des images et des mots sur leurs histoires. Certains me disaient, « c’est incroyable, on vit tous la même chose ! » J’ai réalisé que beaucoup de gens suivaient le blog.

C’est beau de se dire que cela touche les gens. Que parfois ils se sentent moins seuls. Quand tu souffres, cela peut te rassurer de lire que d’autres ont vécu la même chose. Tu te rends compte que c’est singulier et universel à la fois.

Dans les expositions, je ne reste pas trop à côté de mes photos. Et mon but reste le même : pour reprendre l’image de la bouteille à la mer, je lance quelque chose et j’espère que cela va toucher quelqu’un.

Le blog s’est terminé le 14 août. Il restera toujours des choses à photographier et à dire de l’amour… Quelle sera la suite pour toi ? 

Il faut que je fasse une saison 2 ! Sérieusement, peut-être que j’en aurais envie à un autre moment, à différentes périodes de ma vie amoureuse. Les points de vue seraient forcément différents.

J’aimerais aujourd’hui que ces 365° prennent une autre forme. J’aimerais beaucoup que cela devienne un livre, un objet. Je voudrais pouvoir développer une exposition qui permette de voyager entre tous ces témoignages, en faisant aussi appel à de la vidéo, en faisant lire les textes par des comédiens…

Arrêter le blog me permettra aussi je l’espère, de creuser certains sujets qui y ont été abordés. Elle est immense par exemple la question de devenir mère… ou pas, comme l’est le tabou de la masturbation féminine. Il y a aussi le sujet de ces jeunes garçons qui ont grandi avec la pornographie. Qui ont une image du sexe « imposée » avant de l’avoir pratiqué. On revient à l’image : c’est très intéressant cette question des premières images de sexe – des passages érotiques dans des films, des vidéos ou des photos pornos… – que tu reçois et comment tu développes ton imaginaire et tes fantasmes à partir de ça.

Et puis j’ai découvert tellement de choses ! Le polyamour notamment, sur lequel je voudrais réaliser un documentaire.

A l’arrivée, donc, la photographie et l’amour, toujours ? 

Oui. En fait, j’ai le même rapport à l’art qu’à l’amour. C’est quelque chose vers lequel tu tends en permanence, auquel tu aspires très fort comme un idéal inatteignable, un mystère que tu n’arriveras jamais à percer. Tu sais que c’est une source de plaisir et de bonheur immenses. Mais le sommet reste difficile à atteindre et une partie du chemin relève du hasard. Aucun manuel n’existe, c’est ce qui est à la fois flippant et très excitant. Il s’agit bien sûr de ma vision, de ma manière de ressentir les choses. De les vivre aussi. Faire des images et tomber amoureux sont deux choses assez miraculeuses.

Dans la création, pour moi, c’est toujours comme ça. Je ne me dis pas « Ah, là, je vais faire cette photo, ça va être comme ci, comme ça… » Non, je cherche, j’approche, et puis tout d’un coup (parfois) il y a quelque chose qui se produit. Comme l’amour, cela me donne beaucoup d’émotions mystérieuses et fortes, dans un sens ou dans un autre. Ce sont des choses qui me font avancer.

Nous sommes d’accord : l’amour et la photo font faire des choses incroyables.


365degreesoflove.tumblr.com

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